Guy Jahan (1929-2024)

Il est des passions artistiques contrariées : Guy Jahan voulait être peintre. Hélas, il n’était pas bienséant qu’un des fils de la famille embrassât un destin aussi aléatoire.

Publié le
Lundi 21 octobre 2024
Par
Claude Bureau

Il est des passions artistiques contrariées : Guy Jahan voulait être peintre. Hélas, il n’était pas bienséant qu’un des fils de la famille embrassât un destin aussi aléatoire. On toléra l’architecture où pouvait s’exercer son talent pour le dessin. Ainsi fut-il admis en 1949 dans l’atelier d’architecture de Pierre Vivien à l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris pour en sortir en 1961 diplômé et lauréat d’un premier prix de la Chambre syndicale du bois. Après avoir exercé la profession d’architecte1 dans sa propre agence, il devint en 1978 architecte en chef du département des Yvelines puis son conseiller technique jusqu’en 1986. Sa carrière d’architecte diplômé terminée, il s’initia à la gravure dans les ateliers artistiques de la ville de Paris sous la houlette de Claude Breton. Guy Jahan se lança alors avec passion dans l’estampe à une époque où en France elle n’avait plus bonne presse et où l’image figurative n’avait plus les faveurs de la mode, des princes et des marchés de l’art contemporain.

Sans se soucier de cet air du temps, sa détermination et son talent artistique affrontèrent ces défis. Il s’exposait ainsi au rejet de générations d’artistes beaucoup plus jeunes que lui. Pourtant, il sut s’en faire reconnaître et y nouer de solides amitiés2. En effet, les estampes qu’il accrochait aux cimaises de nombreuses expositions collectives, ne laissaient pas indifférent même ceux pour qui le dessin et la figuration n’étaient plus en pointe. Car, il faut le souligner, Guy Jahan dessinait ses estampes, en bravache, en cabochard parfois, têtu sur le cap à suivre malgré les vents contraires en plaisancier à voile expérimenté qu’il était. Dans un siècle où sous prétexte d’innovation et de progrès technologique, voire de nouveaux horizons de l’art « post-quelque-chose » ou « pré-quelque-rien », le dessin a été abandonné comme fondement des arts plastiques au profit de spéculations intellectuelles et d’une rhétorique creuse, ses gravures procèdent primordialement de son dessin. Les unes ne vont pas sans l’autre. Comme sa pratique des chantiers le lui avait appris, la main qui trace et qui grave doit rester la servante d’un grand dessein ou, plus prosaïquement, d’une communication universelle entre les hommes : « un petit croquis vaut mieux qu’un long discours », comme dit le proverbe.

Guy Jahan croquait inlassablement sur le motif, qu’il soit de plein air ou celui d’un nu académique. Il esquissait toujours son sujet de gravure pour le faire advenir ou pour le préciser, avant de se lancer dans son exécution sur la plaque vierge. Sa main exprimait alors, dans le tracé du dessin, l’émotion ressentie, l’accent, le caractère, le volume, la lumière ou l’angoisse de la chose ou de l’être capturé sur la surface plane du papier. Son dessin précis et rigoureux, voire vigoureux, composait ainsi ses images qui ne doivent rien au hasard. Toutefois, sa figuration n’était jamais ce qu’un regard distrait pourrait qualifier de photographique. Au contraire, on y baignait dans une émotivité à fleur de peau, aux aguets de tout ce qui pouvait amplifier le saillant de ce qu’il observait et qu’il nous restituait ainsi sublimé. Il s’agit là d’une figuration subjective où sa personnalité volontaire, sensible et, quelquefois, colérique s’exprimait tout en recréant sans l’affadir le sujet pour lequel il gardait une respectueuse fidélité. Grâce à la maîtrise de son dessin, il en faisait surgir d’évidence la structure fondamentale qui est souvent celée à la commune vision, comme la structure d’un squelette est dissimulée sous la variété des chairs.